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vous êtes à : publication récentes DE J.Demorgon / 2016, juin. IRIS n°37 : « L’entre-deux redoublé entre le cosmos et l’humain ou l’intérité cachée »



2016, octobre. Synergies Chine 11, Gerflint. Article de J.D. « Tradition, Innovation : histoire, anthropologie, adaptation, éthique ». In Synergies Chine n°11, PU Zhihong et Philippe Mogentale (coord.) « Tradition et innovation dans le domaine du Français Langue Etrangère ». GERFLINT, Synergies Chine : http://gerflint.fr/synergies-chine

Tradition, Innovation : histoire, anthropologie, adaptation, éthique

Résumé. La dyade « Tradition / Innovation » est une dyade d’orientations opposées. Elle s’inscrit dans l’expérience humaine générale de trois façons.
a./ Des acteurs humains individuels ou collectifs prennent position pour l’une ou l’autre de ces deux orientations, l’une étant jugée bonne et l’autre mauvaise. Par exemple, on se réfère aux « Anciens » et on condamne les « Modernes ». Ou l’inverse. C’est la zone des conflits identitaires personnalisés.
b./ Comme ces conflits se produisent en tout domaine, en tout lieu et à tout moment, cette répétition réfléchie et cumulée fait apparaître une même problématique adaptative générale. Voyons-la. Une conduite culturelle, acquise au cours d’expériences antérieures, peut se révéler toujours efficace dans des expériences nouvelles. Il faut donc la conserver pour la réutiliser. Par contre, elle peut se révéler inefficace et, dans ce cas, il faut en inventer une autre. Sous la dyade « tradition, innovation », on a : « conserver, maintenir, réutiliser » ou « explorer, modifier, inventer ». On passe d’acteurs humains en conflits à une problématique anthropologique d’adaptation concernant tous les humains.
c./ Dans ces conditions, les deux orientations opposées ne sont ni bonnes ni mauvaises. Seule sera bonne ou mauvaise la façon dont elles seront régulées, articulées, composées. Pour y parvenir, il faut référer le mieux possible la conduite à inventer aux spécificités des domaines, aux particularités des situations, aux singularités des personnes. Le simple respect de cette complexité et la volonté d’y répondre déterminent une éthique. Et cela en pédagogie, dont celle des langues cultures et du FLE. Cette pédagogie a beaucoup à faire pour mettre en œuvre la nécessaire adaptation plurielle.
d./ Cela, déjà, en prenant de la distance à l’égard des traditions prestigieuses d’un passé (religieux et politique) dans lequel une culture de stabilité, d’ordre et d’autorité s’est trop souvent imposée. A condition d’en prendre tout autant à l’égard des séductions d’un présent d’économie et d’information dans lequel une culture de spontanéité, de renouvèlement accéléré, voire de jungle, se donne comme la nouvelle et seule vérité d’expérience.

Mots clés : tradition, innovation, histoire, modernité, anthropologie, néoténie, adaptation, éthique, pédagogie.

Abstract. The dyad (couple) : « Tradition/Innovation » is a dyad of opposed orientations. It is in keeping with the general human experience in 3 ways : a) Individual or collective human participants take sides for one or the other of these orientations one is considered a good one, the other a bad one, for example one refers to the « Ancient » and condemns the « Modern » or the reverse ; b) As this conflict happens in connection with different issues and at different times of history, a general issue of an adaptative nature appears with the remembrance of that repetition. A cultural conduct acquired through former experiences can always appear efficient in new experiences. It is necessary to keep it in order to use it again. On the other hand it can prove inefficient and in that case it is necessary to invent another one. We proceed from human participants in conflict to a general issue of adaptation under « Tradition, Innovation » you find : « to keep, to hold » or « to modify, to invent » ; c) Yet the 2 opposed orientations are neither good nor bad in themselves. It’s only the way they’ll be regulated, articulated, composed that will be good. In order to reach it is necessary to refer the best possible to the specificities of the fields of experience, to the peculiarities at once of situations and singularities of the persons. It is clear that any pedagogy (in particular that of languages-cultures and of French as a Foreign Language) has much to do to implement that complex manifold adaptation ; d) And, already, keeping away from the prestige of a past (both religious and political) in which a culture of stability, order and authority has too often imposed itself. Controlling as well the lures of a present (of both economics and information) in which a culture of spontaneousness, of accelerated renewal or even of a jungle, presents itself as the new truth of experience.

Keywords: tradition , innovation , history, modernity , anthropology, neoteny , adaptation, ethics, pedagogy.
Présentation de l’article « Tradition, Innovation : histoire, anthropologie, adaptation, éthique »

1./ « Tradition, innovation », une problématique humaine : de l’histoire à l’éthique
Synergies Chine dédie ce n°11/ 2016 à un ensemble d’études sur la relation entre la tradition et l’innovation dans l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère, par exemple, la langue française en Chine. Le texte qui suit ne traite pas directement le thème élu de cette pédagogie singulière en elle-même. Les coordonnateurs de ce numéro nous ont demandé une contribution étudiant la dyade « Tradition, Innovation » du point de vue sociologique et philosophique. La lecture du texte sera sinon simplifiée du moins mieux adaptée à la libre mobilité du lecteur s’il perçoit clairement la spécificité des quatre parties qui le compose. Voyons comment elles s’articulent.
La dyade « tradition, innovation » relève de tout un ensemble de dyades d’opposés. Leur énoncé bref est à la fois prometteur d’un chemin d’accès à la complexité du réel, mais aussi trompeur car cet accès ne va jamais de soi. Il devra venir d’allers-retours indéterminés, exploratoires et constructifs. Le fonctionnement de la dyade « tradition, innovation » ne peut pas échapper à l’ambivalence : maléfique ou bénéfique, ni sa définition à l’ambiguïté : opposition ou composition. Les dyades d’opposés pourront toujours être critiquées en raison de leurs pentes réductrices mais louées aussi en tant que précieuses symboliques adaptatives (cf. ci-après 2). La dyade « tradition, innovation » participe pleinement de ce secret adaptatif. Pour le comprendre, il faut la sonder et la fonder à la fois dans l’histoire et l’anthropologie.
La première partie (Histoire et engagement, 3-6) englobe. Elle va de la dyade elle-même à ce qui la contient : l’histoire des personnes, des groupes, des sociétés qui la produisent, s’y réfèrent et l’exercent. Qu’est-ce que les développements des sociétés et de leurs membres font avec cette dyade ? Présente dans tous les domaines, la dyade « tradition, innovation » s’est inventée comme symbolique adaptative générale tout en passant par de grands déséquilibres historiques. Le fait qu’elle se présente comme une opposition ne doit pas cacher qu’aucune des deux orientations ne peut éliminer l’autre. A travers leurs partisans, mixtes eux-mêmes, elles n’en ont jamais fini de lutter pour l’emporter. D’où ces deux grandes périodes historiques où l’une prime et ensuite l’autre. Dans les tribus, royaumes ou empires, la Tradition se repositionne constamment (3). Dans les nations marchandes industrielles et les sociétés d’économie mondialisée, les innovations se précipitent en tête (4). Lors de la transition séculaire de la première époque à la seconde, du siècle classique au romantisme en passant par les Lumières, à trois reprises, émerge une nouvelle querelle des Anciens et des modernes (5). Le contre-point des primats historiques (diachroniques), toujours relatifs, est justement la symbolisation dyadique systémique (synchronique). On est passé de l’histoire à la sociologie et à la psychologie, disciplines où la dyade « tradition, innovation » est présente dans bien des recherches (6).
La seconde partie (Anthropologie et ouverture, 7-10) réfère la dyade « tradition, innovation » au fondement qui, dans le monde du vivant, la pose comme indexation humaine toujours possible. A partir de la conscience de l’opposition, l’anthropologie nous fait remonter à ce qui en est la source : la néoténie humaine. Il s’agit de cette condition biologique, en préparation dans le monde du vivant qui, avec l’apparition d’homo sapiens sapiens, franchit un seuil décisif. L’être humain est l’animal le moins programmé, avec à charge de se programmer lui-même. Pour y parvenir, il lui faut prendre acte de ce qu’est le monde. Or, le monde n’a pas de limites assignées connues. Les humains, sur le long terme, n’en ont pas de définitives. Ni vers le passé dont, sous des formes variables, la tradition rend compte au présent. Ni vers le futur que toute innovation tente d’inscrire dans le présent (7). Pour les humains, leurs conduites sont donc des épreuves adaptatives puisque, dans chaque situation problème, ils doivent décider de la bonne répartition différentielle entre des orientations opposées. En effet, ils doivent faire face à la diversité et au changement du monde et des autres en changeant leurs programmes. Après la néoténie, l’adaptation, au sens le plus large et le plus profond, comme chez Piaget ou Berne (8) est donc le second mot nécessaire pour comprendre la dyade « tradition, innovation ». Le troisième mot est « culture ». Ces trois mots signent des « faits, valeurs ». Des « faits » dans la mesure où les moyens de l’humain lui permettent d’observer, d’agir, de penser dans cette perspective infinie d’adaptation et de culture. Des « valeurs », non pas inscrites dans un ciel préalable, mais réalisées ou non, individuellement et collectivement dans toute stratégie de poursuite de l’invention culturelle. S’ouvrant à ces trois « faits, valeurs », l’humain est ainsi, de nature, un être d’adaptation, de culture et d’éthique. D’où sa recherche toujours entre des opposés. Ainsi, comme l’expose Louis Dumont (1977, 1979, 2013) entre « l’homo hiérarchicus » minimisant l’innovation, et « l’homo aequalis » la maximisant. Or, la difficulté est grande de traiter les deux orientations sociétales opposées. D’où, le risque de bricolage insatisfaisant mais auquel peuvent, un temps, croire les peuples. Telles sont les « crases » qui veulent tenir ensemble ce que l’on ne sait ni articuler, ni réguler, ni composer (9). Ainsi, dire que la dyade « tradition, innovation » est adaptative, culturelle, éthique, ce n’est pas l’automatiser. C’est tout le contraire. Son destin relève de la responsabilité des humains. Ils ont les moyens d’y parvenir mais seulement s’ils les prennent en compte et en charge de multiples façons (10).
La troisième partie (Adaptation et culture, 11-14) rend compte de quelques études critiques concernant les différents fonctionnements stratégiques, adaptatifs, culturels et déjà éthiques (ou non) de la dyade « tradition, innovation ». D’abord, l’opposition est pervertie quand manque déjà la référence éthique à l’intérieur de chaque orientation. C’est le cas si l’on ne pose pas les questions : « quelles traditions se maintiennent, et pourquoi ? », « quelles innovations sont entreprises et pourquoi celles-ci au détriment d’autres ? » (11). Dans leur titre bref, les dyades d’opposés, comme « tradition innovation », pré-formulent la complexité, de façon d’abord « simplexe » (Berthoz, 2009). Il faut entendre par là une simplicité au service de la complexité. Et c’est ce qui se produit quand « tradition, innovation » sont là pour une multiplicité (une infinité) de séparations, régulations, articulations, compositions. La complexité adaptative, stratégique et culturelle, répond alors à la complexité du réel (12). Cependant les simplifications reviennent toujours. Ainsi, lorsqu’on limite la tradition à la seule dimension temporelle du plus lointain passé, sacré comme tel. Ou quand on sacre le présent comme tel, et toute innovation qui s’y produit. Ou enfin quand on délaisse le vis-à-vis « tradition, innovation » dans ses multiples variables entre les civilisations, les sociétés et leurs acteurs (13). On ne peut prétendre que le mieux est déjà contenu dans telle civilisation, telle religion, telle culture. Et qu’il n’aurait plus qu’à s’appliquer : partout, pour tous et pour toujours. Chez un Fukuyama (1992), le régime démocratique dominant en Occident était supposé devenir la forme politique universelle et définitive. Il se rétracta au motif judicieux que sciences et techniques en découvrant l’univers, ne cessent de modifier même les organisations politiques consacrées. Par contre, la transitologie, qui s’était ainsi fourvoyée, redevient une discipline précieuse dès lors qu’elle pose les transitions comme toujours à inventer entre traditions et innovations variables selon pays, situations et acteurs (14).
Dans une quatrième partie (Ethique et pédagogie, 15-17), nous abordons la façon dont la dyade « tradition, innovation » joue pleinement dans le domaine des langues-cultures. Nous partons, avec Christian Puren (1998, 2002, 2011) de l’évolution de leurs cinq didactiques successives en France sur plus d’un siècle (15). L’interprétation claire et concise de cette évolution révèle le vif intérêt de la fonction méta. C’est elle, en effet, qui construit, au long du temps, chez nombre d’acteurs et dans nombre de domaines, cette effectivité adaptative, culturelle, éthique des dyades d’opposés telle qu’ici « tradition, innovation » (16). La pédagogie des langues-cultures doit prendre en compte une multiplicité de données variables selon les pays, les langues en présence et les types d’acteurs. Un exemple relativement simple et très éclairant peut en être donné quant à la nécessité de multiples adaptations en ce qui concerne les situations à la fois « multi, trans et interculturelles ». Leur évolution étudiée pour les Etats-Unis et pour la France souligne combien la pédagogie des langues-cultures est ainsi hautement problématique. Elle doit toujours produire entre traditions et innovations multiples ce qu’il y a de mieux dans chaque situation sociale et donc aussi dans chaque situation pédagogique. Mais cela jamais une fois pour toutes (17).

Plan des intertitres de l’article « Tradition, Innovation »

1./ « Tradition, innovation », une problématique humaine : de l’histoire à l’éthique
2./ Dualismes déconstruits, dualisations constructives, adaptations singulières
3./ Royal-impérial, religion et politique. La tradition : de l’invention, au primat
4./ National-mondial : économie et information. L’innovation : de l’invention, au primat
5./Anciens et Modernes. De l’histoire à l’adaptation. Diachronie et synchronie.
6./ Formations d’adultes et division stratégique et culturelle du « travail social »
7./ L’homme néotène : « Tradition / innovation » entre absolus et infini
8./ « Tradition / innovation », de l’adaptation à la culture : Piaget et Berne
9./ Sociétés holistes traditionnelles, ou modernistes novatrices, et leurs « crases »
10./ « Tradition, innovation », un « fait-valeur » à préciser
11./ L’antinomie de Benjamin : trop de Tradition et pas assez.
12./ « Tradition / innovation », de l’interférence aux adaptations multiples
13./ « Traditions, novations » et vis à vis des civilisations, tel « Chine, Occident »
14./ Entre tradition et innovation : transitions et transitologies
15./ Un siècle : cinq focales en didactique des langues – cultures. C. Puren
16./ Retournement « meta » et gain adaptatif : des opposés aux composantes
17./ « Multi, trans, inter », entre histoire et pédagogie des langues - cultures

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Jacques Demorgon, écrivain - mentions légales - réal. o multimedia