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Acculturation
Pour plusieurs raisons, la nouvelle notion d’acculturation va se constituer à la fin du XIXe siècle. Elle paraît plus modeste, plus scientifique, plus précise que les vastes notions de cultures et de civilisations. En fait, elle est essentiellement appliquée aux membres de cultures différentes, présents au sein des sociétés occidentales. Elle va rester marquée par ce contexte où celui qui s’acculture est largement conduit à le faire puisqu’il vit dans le contexte d’une culture dominante. On considère l’anthropologue américain, G. W. Powell, comme ayant, dès 1880, inventé « l’acculturation », mot qu’il emploie donc pour désigner les transformations culturelles des immigrants dans la société américaine. La notion est réinventée, en 1928, par Herskovits, Redfield et Linton (1936) qui analysent ce que sont devenues, aux Etats-Unis, les populations noires descendant des esclaves africains. Une culture majoritaire, qui se juge supérieure, s’impose à des groupes qui s’y trouvent immergés comme minoritaires, leur propre culture étant jugée inférieure… La notion d’acculturation se place ainsi toujours dans un après-coup de cultures acquises en position asymétrique. Résumons : le système culturel d’une personne, d’un groupe, d’une société est, par contrainte ou séduction, réorienté vers les mœurs et les valeurs d’un système culturel dominant. Les acteurs du système dominé peuvent aussi en principe toujours s’opposer ou trouver des ruses adaptatives. Encore faut-il qu’ils aient un espoir d’aboutir. C’est rarement le cas pour des minorités immergées. Par contre, cela est autrement possible quand il s’agit de sociétés qui s’affrontent en extériorité mais cela va définir, pour Georges Devereux, « l’acculturation antagoniste » (voir ce concept).
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Acculturation antagoniste
Pour Georges Devereux (1970), « l’acculturation antagoniste » mérite ce nom dans la mesure où les « dominés », ou menacés de domination, n’acceptent pas la culture dominante ou qui veut les dominer. Ils la combattent d’abord en résistant par « l’isolement défensif » dans lequel le contact avec les autres est supprimé, quand le contexte le permet : par exemple un isolement maritime ou un isolement en montagne. Mais cela peut être aussi un isolement culturel, par exemple linguistique ou religieux. Un second processus antagoniste consiste à s’opposer directement aux traits culturels dominants de la société menaçante. Un troisième processus qui souvent s’ajoute consiste à renforcer nombre des modèles culturels propres. Un quatrième processus peut également conduire à l’adoption et à la reprise pour son compte de tout ou partie des « moyens nouveaux » inventés par la société dominante (voir « acculturation japonaise antagoniste et son évolution »).
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Acculturation japonaise évolutive
Cette évolution se déroule sur plusieurs siècles. Au 16ème siècle, l’influence occidentale est acceptée. De nombreux Japonais se convertissent au christianisme. Le succès et l’importance de ce mouvement de conversion incitent les responsables japonais à lui faire barrage. Ce retournement sera violent. Ainsi, en 1638, des dizaines de milliers de Japonais convertis au christianisme sont massacrés dont 37 000 à Nagasaki. L’année suivante, les commerçants européens sont expulsés, à l’exception des commerçants hollandais à condition de résider exclusivement dans l’Ile de Deshima. Les savants hollandais sont également présents initiant les Japonais à la médecine, à l’astronomie, à la cartographie… Si cependant le Japon reste ouvert aux Coréens et aux Chinois, les Japonais eux-mêmes se voient interdire tout séjour à l’étranger. Davantage, des dizaines de milliers de Japonais expatriés par exemple en Asie du sud-est se voient interdire le retour au Pays. Plus de deux siècles après, mandaté par les Etats-Unis, le Commodore Perry, en 1853, somme les Japonais d’échanger des ambassadeurs avec les autres pays et d’ouvrir leurs ports au commerce international. Les Japonais s’étonnent d’être à ce point défiés. Ils comprennent que l’Occident peut se le permettre du fait des forces qu’il tire de sa révolution industrielle, le Japon décide d’effectuer la sienne. L’Empereur est remis en honneur. La société se mobilise. C’est l’ère Meiji, dès 1868. Les progrès japonais seront extrêmement rapides au point que, dès 1905, le Japon peut tenir en échec la Russie et, par la suite, défier la Chine. Il imagine même, pendant la Deuxième Guerre mondiale, pouvoir vaincre les Etats-Unis. Après Hiroshima et Nagasaki, le Japon rentre dans la culture démocratique mais surtout économique des vainqueurs, au point de les défier de nouveau sur ce terrain.
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Acculturation contresens
Signalons un contre-sens fréquent, en français. L’acculturation est pensée comme suppression de la culture du dominé par le dominant. Double déformation, étymologique et idéologique. Dans le mot, acculturation, le a initial n’a pas un sens privatif : acculturation ne signifie pas privation de culture. Le « ac » vaut pour « ad », qui signifie « vers ». Acculturation signifie qui va vers telle culture. Cette idée de privation de culture part sans doute d’une bonne intention, celle qui entend dénoncer les faits d’ethnocides, réductions, voire suppressions violentes de la culture de populations minoritaires. Ces situations tragiques, bien réelles, ne sont cependant pas généralisables. Dans l’histoire, la culture dominée est, certes, parfois supprimée, mais elle peut aussi se « réorienter » « vers » la culture dominante voire, plus ou moins, « composer » avec elle.
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Culture
Conduite observée, jugée, trouvée « réussie » et sélectionnée ; conservée, transmise, fondatrice d’identité. La culture, au sens général du terme, c’est-à-dire au sens anthropologique, précède largement la plus grande familiarité des élites avec ce que l’on nomme les « trésors culturels ». En réalité, la « culture » est aussi constituée d’habitudes de vivre, de penser, de ressentir qui sont mises en œuvre dans les quatre grands secteurs d’activités : religion, politique, économie, information. C’est à partir de là qu’elle va pouvoir devenir ensuite « culture cultivée » à « n » degrés. Elle y parvient par réflexion, imagination, modélisation, anticipation. En perspective au moins, mais souvent dans la réalité même, la « culture anthropologique » et la « culture cultivée » interfèrent, se mêlent, tendent vers une culture relativement unifiée (voir « culture comme diversité cohérente »). Dans cette perspective, la culture englobe la temporalité entière et les espaces de vie. Elle relie nature et humanité, individuel et collectif, identité subjective et information objective. Elle reste le plus souvent en tension entre sa capacité à constituer une identité spécifique singulière d’une personne, d’un groupe humain, d’un peuple, d’une société et sa capacité à constituer des références communes partagées associant mieux ressemblances et différences des uns et des autres (voir « culture comme éventuelle culture des cultures »)
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Culture comme adaptation évolutive
La culture n’est pas constituée à partir de n’importe quelles conduites mais à partir de celles qui sont repérées, observées, sélectionnées, conservées, transmises, modifiables. Si elles sont ainsi traitées, c’est que, en tout cas à ce moment là, elles sont jugées bénéfiques par certains acteurs humains. Ils peuvent avoir raison ou se tromper et devoir se corriger. L’adaptation, ou mieux la (dés)adaptation humaine, ne doit pas être comprise de façon simpliste comme soumission seulement. Ce n’est qu’une de ses dimensions. Deux autres sont fréquentes : la révolte et l’invention. Il y a là une véritable triade de la régulation adaptative. Du fait de la liberté humaine et des changements des environnements, une partie de ce qui a été retenu et transmis est susceptible d’être modifié et se retrouve même parfois périmé. C’est fréquent dans le domaine des instruments et des outils liés à des activités qui ont changé. La machine à écrire est remplacée par le traitement de texte sur ordinateur, etc. Le téléphone fixe conduit au téléphone portable et à ses multiples prolongements et perfectionnements…
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Culture comme diversité cohérente
La culture paraît éclatée, fragmentée. On a des cultures cultivées, folkloriques, anthropologiques, élitistes, populaires. On dit aussi bien la culture que les cultures ! Pourtant, une conception générale cohérente unifiée des cultures et de la culture, est aussi recherchée. La culture se réfère à un ensemble - certes varié mais pas incohérent - de problématiques humaines. Au cœur de celles-ci, les acteurs, avec leurs libertés évolutives, considèrent, comparent, comprennent leurs multiples réponses culturelles et tendent à produire en plus, volens nolens, une culture humaine, toujours en diversification et en unification. Directement issues de l’expérience, les cultures de base se prolongent en cultures cultivées à n degrés : habiter une grotte, transformer cet habitat; garder en habitude et en mémoire les objectifs et techniques, les reproduire par l’écriture et le dessin; les comparer à d’autres ayant contribué à construire d’autres habitats différents; constituer sciences et techniques architecturales, réfléchir sur la place de l’architecture dans les cultures spécifiques et dans la culture humaine en général. À chaque degré, l’habitus peut se constituer en identité individuelle ou groupale. Tel degré de la culture cultivée est pris comme référence identitaire pour telle partie d’une population qui s’y appuie en se posant stratégiquement comme élite générale ou professionnelle.
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Culture, donnée naturelle humaine
C’est une même espèce humaine naturelle qui se caractérise par sa « néoténie » (voir ce mot, prochainement affiché), c'est-à-dire son inachèvement par absence de solutions naturelles programmées (l’araignée est programmée comme architecte de sa toile). La néoténie s’ouvre sur une nouvelle extension adaptative de l’être humain grâce à la culture. Ce qui est inconvénient premier (le petit poulain marche peu après sa naissance pas le bébé humain) se transforme en chance seconde, celle d’un être ayant de la liberté. Si l’être humain n’est pas programmé il devra se programmer lui-même, certes non sans incertitude. Et même davantage, il pourra se déprogrammer et se reprogrammer. Bref, l’être humain est ainsi en posture de prendre en compte l’infini.
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La culture comme géohistorique et plurisectorielle
Les acteurs humains produisent les cultures dans des environnements géographiques et dans des temps historiques différents constitutifs d’ensembles civilisationnels dans lesquels ils réagissent pour s’adapter. Le processus de sélection des conduites d’actions à la source de la culture concerne tous les domaines d’activités de l’expérience humaine : les religions et leurs rituels ; les organisations politiques des vies sociales collectives et individuelles en communautés et en sociétés, l’économie et ses techniques à l’œuvre dans les secteurs primaire, secondaire et tertiaire; enfin, dans les conduites informationnelles : recherche, comparaison, transmission, globalisation de toutes les variétés d’information. Toutes ces conduites culturelles nées des actions et des activités humaines peuvent ou non engendrer des cultures et ensuite les conserver ou les modifier plus ou moins. Tradition et novation peuvent autant s’opposer que se composer.
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Culture comme identité objective et subjective
En effet, l’adaptation humaine, sous peine d’échouer, doit tenir compte des environnements réels. Or, ceux-ci sont aussi traités de divers points de vue (subjectifs) qui sont ceux d’acteurs humains, individuels ou collectifs, ayant leur singularité. Les libertés humaines se soumettent, se révoltent, inventent diversement. De ce fait, les cultures peuvent considérablement varier. De plus, les acteurs humains se différencient à partir de leurs productions culturelles auxquelles ils s’identifient. La culture est alors comme une seconde nature. Elle en vient à recouvrir une humanité qui, comme part commune, se trouve souvent éclipsée. Devenue identitaire, la culture peut défier les bonnes relations et communications entre acteurs humains dont les cultures différentes sont transformées en identités opposées.
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Culture comme éventuelle culture des cultures
L’ensemble des cultures singulières est l’objet d’échanges théoriques et pratiques d’expériences. Une culture des cultures peut être souhaitée si elle n’abolit pas les spécificités des cultures mais les garde et même les révèle dans leur production originale. Elle leur cherche, leur trouve, leur définit de nouvelles bases auparavant méconnues, telles de grandes problématiques adaptatives communes : « ouverture, fermeture », « maintien, changement », « unité, diversité », « autorité, liberté » etc. Les acteurs humains prennent conscience des sources de leurs écarts et du fait qu’ils peuvent aussi bien les vivre en acteurs antagonistes qu’en acteurs complémentaires. Ils sont toujours, en partie, libres de choisir l’une ou l’autre perspective, voire d’inventer des réponses culturelles nouvelles. En ce sens, la culture des cultures est tout le contraire d’une absurde compilation, elle peut contribuer la poursuite de l’aventure humaine devenue plus consciente.
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Enculturation
Terme peu employé. Il désigne la façon dont la culture d’un ensemble social ou sociétal se transmet à ses membres. Parmi ceux-ci : les enfants. En ce sens, le mot enculturation est proche de socialisation. Mais l’enculturation est un phénomène qui concerne l’ensemble des membres d’un groupe social ou d’une société. Elle opère à partir d’un ensemble de processus qui entrainent un accès relativement continu à la culture qu’elle soit acquise déjà ou en cours d’évolution. L’enculturation se produit tout au long des vies. Elle est à l’origine de renforcements culturels qui permettent de comprendre que les membres d’une culture sont souvent facilement reconnus par les membres des autres cultures. Si les populations d’immigration récente sont d’abord soumises à des processus d’acculturation, ensuite elles relèvent de processus d’enculturation. Le passage se fait quand la culture du pays d’arrivée n’est plus en conflit avec la culture du pays de départ c’est-à-dire quand elle est reçue moins en extériorité et plus comme allant de soi. Pour une large part, le processus d’enculturation est à l’œuvre sans que ceux qui en relèvent en prennent clairement conscience.
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Espace analogique et digital
L’habitant use facilement d’images perceptives et intuitives pour qualifier son espace. Il dira « la Grande Tour », « le Café à la tenture rouge », « l’église aux deux flèches ». Certes, l’habitant use aussi d’une conception digitale de l’espace se référant à des quadrillages et à des intersections de rues ainsi qu’à des numéros. Les pouvoirs publics privilégient souvent les expressions digitales de l’espace, expressions plus abstraites mais plus objectives et communément partageables.
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Espace, architecture et urbanisme au Japon
Les observations de A. Berque sur « l’espace au Japon » montrent qu’au fil des siècles trois tentatives au moins furent faites par les pouvoirs publics.
-La plus ancienne concernait la ville de Kyoto planifiée par les pouvoirs impériaux japonais selon un modèle chinois. C’était un système cadastral de voies orthogonales. Dans ces conditions, « l’espace était donc totalement déterminé par l’ordre linéaire et supra-local de la voirie ». A l’origine, le nom de chaque « machi » (quartier), formant un carré de 120 m de côté, était déterminé par sa place dans l’ensemble. Dès le 12e siècle, les habitants redonnèrent aux quartiers des noms en relation aux activités qui s’y déroulaient. Au 16e siècle, les quartiers furent recoupés par une rue médiane. Ils gardèrent leurs noms mais les rues prirent le nom des quartiers traversés. Ainsi, Sera Mmaci Dôri était la rue du quartier des monastères. Le quartier a fini par annexer et définir la rue et non l’inverse.
-La deuxième tentative fut celle de l’État meijien, à Sapporo, dans un espace vierge. Ce n’était pas les aires mais d’abord les rues qui étaient nommées. Par contre, l’adresse de l’habitant était composée du nom de la rue mais suivie d’un chiffre qui reflétait la situation de sa maison dans le bloc quadrangulaire. On avait ainsi la combinaison des deux principes linéaire et aréolaire. Ainsi Kita 11 ne signifie pas 11 rue Kita mais rue Kita, 11e parcelle.
-La troisième tentative se situe après la défaite de 1945. Les Américains voulurent introduire à Tokyo un système rigoureux de noms de rues. Mais en vain.
Quels que soient les efforts d’abstraction, les données concrètes d’un espace urbain ne peuvent jamais être complètement éliminées. Ainsi, pour numéroter les rues, il faut bien partir d’un début réel. Cela peut être un fleuve qui traverse la ville, comme c’est le cas à Paris avec la Seine. Bien entendu, des situations peuvent résister à cette organisation. On peut dans un quartier trouver plus commode de numéroter les rues à partir d’un grand carrefour d’où elles partent.
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Espace aréolaire et linéaire
Des différences culturelles se font jour en ce qui concerne les types d’organisation et les dénominations de l’espace urbain. Elles distinguent la vision de contrôle en extériorité des pouvoirs publics, vision qui est souvent de type linéaire, dans la mesure où les pouvoirs peuvent être contraints d’aller rapidement d’un point à un autre. Par contre, l’habitant organise plutôt l’espace dans une proximité qui s’étend à partir de lui même et qui correspond à la surface d’une aire (area) d’où le terme d’aréolaire qualifiant cet espace.
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Espace de la maison : dehors et dedans
Une autre distinction culturelle fondamentale concernant l’espace est celle qui établit la distinction entre dehors et dedans. Une étude plus détaillée des rapports à l’espace devrait également prendre en compte les ponctuations extérieures et intérieures de la maison. Cette distinction entraîne la nécessité de considérer des médiations entre ce dehors et ce dedans. Elles vont se diversifier considérablement selon les cultures dépendantes aussi des climats. Dans nombre de pays, le seuil extérieur de la maison est constitué non seulement par une porte mais encore par un petit auvent qui a plusieurs significations. Certaines sont symboliques, d’autres pragmatiques. Par exemple, cela permet de recevoir sur le seuil de la propriété sans faire entrer la personne. Selon Hall, en Allemagne, une personne qui se tient sur le seuil d’une porte est perçue comme ayant déjà pénétré dans la pièce. Elle a franchi les limites internes du territoire personnel ; elle s’est rendue coupable d’intrusion. C’est ainsi que la maison peut-être entourée de plusieurs espaces médiateurs successifs. Il peut y avoir ou non clôture de la propriété. Il peut y avoir clôture haute ou basse ou transparente. L’entourage de la maison peut être matérialisée ou non. Le franchissement de chaque espace médiateur est parfois accompagné d’une construction légère indiquant le seuil : porte extérieure de la propriété, porte d’une véranda, porte du vestibule d’entrée, etc. L’intérieur de la maison est ainsi diversement protégé ou non par des rideaux, voire des volets diversement ouverts ou fermés. Dans le cas de la maison arabe, il est le plus souvent impossible de glisser de l’extérieur le moindre regard vers l’intérieur.
A l’intérieur de la maison, on ne pénètre pas librement dans la cuisine d’une maison française alors que ce sera relativement admis dans une cuisine américaine dans laquelle le réfrigérateur est relativement collectivisé. Hall précise l’espace intermédiaire de l’habitation japonaise. Le contraste entre l’extérieur et l’intérieur est amorti par le genkan. Il s’agit d’un vestibule situé au niveau de la terre et où l’on est encore chaussé. Le genkan nous introduit dans le bâtiment mais pas dans la maison. On entre dans le genkan depuis l’extérieur sans même frapper ; c’est le bruit de la porte qui révèle l’arrivée. Nombre de personnes ne vont pas dépasser le genkan. Elles ne vont pas monter la marche qui les introduirait dans l’espace domestique, c’est par exemple le cas des livreurs.
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Espace et danse de la vie (Hall)
D’autres études empiriques de Hall également enregistrées ont été faites par exemple sur des marchés. Elles ont permis de découvrir que dans des scènes d’échanges commerciaux entre personnes de cultures différentes, de nombreuses ruptures de rythmes avaient lieu car l’ajustement ne se faisait pas. Au contraire, quand acheteur et vendeur étaient de la même culture, l’harmonisation des conduites sautait aux yeux, au point que Hall put y trouver le titre d’un de ses livres : la danse de la vie.
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Espace et nation-marchande
L’espace intrasociétal de la nation-marchande est le network : réseau aux limites franches, les nations se singularisant par leurs frontières. Naguère encore, les lignes Siegfried et Maginot prétendaient, au moins sur une petite portion, fixer la séparation entre l’Allemagne et la France.
L’espace intersociétal de la nation est la transaction : marchande d’abord, politique ensuite, militaire s’il le faut vraiment. La transaction s’effectue de façon réelle mais aussi symbolique.
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Espace et proxémique : les quatre distances
La distance à autrui varie selon les cultures. C’est là une donnée objective puisqu’elle peut être enregistrée dans différents pays et au long du temps pour prouver son maintien ou son évolution. À partir de là, E.T. Hall a fondé une discipline nouvelle qu’il a nommée « la proxémique ». Il a montré qu’il n’y a pas simplement « une » seule distance à autrui mais au moins quatre.
-1/ La « distance publique » concerne les rapports collectifs dans un groupe un peu étendu, elle va jusqu’à la relation spectaculaire quand l’un des membres de ce groupe s’adresse aux autres d’un point éloigné ou surélevé de l’espace. Elle devient alors relation spectaculaire.
-2/ La distance sociale concerne la relation hiérarchique. Par exemple dans les relations professionnelles. Elle peut aller d’un mètre vingt à trois mètres soixante.
-3/ La distance interpersonnelle sans contrainte oscille, selon les cultures, entre 45 cm et 1m 25. Ainsi, 45 cm pour des Français, 60 cm pour des Allemands, 90 cm pour des Japonais. Mais cette distance interpersonnelle est fréquemment soumise à des contraintes dans la vie urbaine. En voici deux exemples.
Un journaliste politique français connu fait un reportage en Grande-Bretagne et trouve que les Britanniques manquent de tonus. Il écrit : « Les Anglais sont tombés bien bas et rien ne pourra les en sortir. Ils restent patiemment debout sur le trottoir, attendant un taxi, alignés comme des moutons. J’ai couru en tête, attrapé le premier et personne ne m’a rien dit. Ils se contentaient de regarder ». On a là tout un condensé d’incompréhensions interculturelles. Les Britanniques ne sont pas des moutons. S’ils sont alignés dans la queue, c’est pour de multiples raisons culturelles. Monochronie : chacun à son tour. Contexte strict : chacun séparé. Distance à autrui : respect de sa bulle et de la bulle de l’autre. S’ils ne disent rien et regardent, il en va de même : cela indique prise de distance, flegme, contrôle émotif, mais cela au bénéfice de plusieurs possibilités : constat du comportement goujat d’un Français ou curiosité voire tolérance à l’égard de quelqu’un qui peut exceptionnellement avoir des raisons graves d’être pressé. Toute une éducation, toute une culture du côté britannique et ici, malheureusement du côté français, tout un manque d’éducation, toute une inculture de ce que sont les cultures. Ce qui, pour un journaliste, surtout politique, est une lacune professionnelle grave.
Second exemple : celui de l’occupation variable des bancs dans les jardins publics. Dans des pays marqués par des cultures moyen-orientales plus collectives, un banc de quatre personnes est rempli, une cinquième pourra néanmoins chercher à s’asseoir. Il n’est pas rare que dans ce cas, l’une des quatre personnes assises se lève et s’en aille. Dans des cultures occidentales, plus individualistes, on pourra voir tout le contraire, dès qu’une ou deux personnes sont assises sur un banc public, les passants peuvent considérer qu’ils dérangeraient en venant s’y asseoir.
-4/ la distance intime oscille entre 40 et 0 cm. Elle définit une intimité familiale ; et plus réservée encore, une intimité d’ordre sexuel. Les distances intimes connaissent aussi des différences culturelles importantes. Dans certaines cultures, plus généralement du nord de l’Europe, le contact physique – toucher, prendre dans ses bras, embrasser – est généralement évité et de toute façon est infiniment plus rare et plus restreint que chez les peuples latins. Cette plus grande distance intime est souvent perçue par les latins comme un signe de réserve, de froideur et même d’animosité. En réalité, cette distance n’est pas spécifiquement réservée à l’étranger, elle intervient déjà, pour une part, dans les rapports culturels internes. C’est le cas pour la distance intime conjugale : en témoigne les différences entre le lit latin pour deux personnes et les lits jumeaux des pays du nord de l’Europe.
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Espace et tribu
L’espace intrasociétal d’une tribu est « l’horizont », terme allemand signifiant « espace flou produit par les déplacements des nomadisations ». Ajoutons qu’entre celui-ci et les espaces plus organisés qui suivront une transition exceptionnelle est celle que Bruce Chatwin a découverte en Australie avec le fameux chant des pistes. Les parcours donnent lieu à des chants qui évoquent les paysages et permettent d’avancer en les découvrant dans les paroles mêmes des chants. D’une façon générale, Deleuze et Guattari ont mis en évidence qu’une part du code de la communication tribale passe en effet par une inscription sur le territoire. Cette inscription s’étend aux personnes elles-mêmes dont les corps et les visages donnent lieu à inscriptions. Observons que ce code, s’il est d’origine tribale, ne cesse de faire plus ou moins retour selon les époques comme en témoignent aujourd’hui tatouages et piercings.
L’espace intersociétal des tribus et sociétés communautaires est la séparation. En effet, chaque microsociété se définit seule comme celle des vrais hommes et se débrouille aussi plutôt seule dans un environnement encore très ouvert.
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Espace, meubles et entreprises
Dans certains pays, même à l’intérieur de l’entreprise, les dirigeants se gardent d’empiéter sur le territoire de leurs subordonnés. Des différences se trouvent déjà dans les cultures occidentales. Ainsi, en Allemagne, les « Latins » sont souvent impressionnés, sinon gênés, par la clôture et la lourdeur des portes qui manifestent une volonté de bien séparer le territoire individuel (privé ou non) du domaine commun. Les bureaux directoriaux en Allemagne ont, un peu plus souvent qu’ailleurs, une double porte... On aura le loisir de se référer ici aux différences de climat (mais pas seulement) qui ont pu entraîner ces différences techniques. Les dirigeants d’une entreprise américaine qui venaient d’acheter une société allemande furent stupéfaits de constater que chacun des dirigeants allemands disposait d’un bureau aux portes soigneusement ajustées, aux murs parfaitement insonorisés. Aux Etats-Unis, Hall rencontra un manager allemand excédé de la façon dont ses hôtes américains se rapprochaient de son bureau. Il fit même clouer au sol « à bonne distance » le fauteuil réservé à ses visiteurs.
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Espace, planète et cosmos
L’espace intrasociétal de la société monde est le rhizome, réseau aux limites floues. Son espace intersociétal est la communication informationnelle-mondiale. Au-delà de la seule globalisation économique, la mondialité représente une situation nouvelle de l’humanité à travers un changement radical des références à l’espace. Déjà au sens optique, le regard du cosmonaute sur la planète Terre entre en contradiction avec les mondialisations terrestres étroites, inabouties et qui n’ont pas pour objectif de penser l’humain dans son site cosmique. La mondialité requiert une information-monde globale c’est-à-dire : histoire, écologie, implications planétaires et cosmiques. La traditionnelle géopolitique a toujours privilégié les questions de territoires et d’intérêts. Elle doit être complétée par une transpolitique comparative et compréhensive concernant les modalités relationnelles différentes entre gouvernants et gouvernés. La dynamique des multiples délocalisations ne peut rester simplement économique partielle et sauvage. Ce sont les grands ensembles culturels des civilisations qui doivent être pensés en ressources capables de s’affronter constructivement pour engendrer une cosmopolitique de civilisation.
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Espace, royaume et empire
L’espace intersociétal d’un royaume ou d’un empire se caractérise par la domination. Un champ de forces géohistoriques s’installe et se déploie à travers conquête ou pertes de territoires. Il y a des marches de l’empire avec des marquis pour les marquer et les conserver. Il y a des avancées ou des reculs de frontières, des volontés de stabilisation par construction de murs. Ainsi du limès romain avec, dans sa portion la plus au nord, le grand mur d’Hadrien entre l’Angleterre et l’Ecosse d’aujourd’hui. La Grande Muraille de Chine est tout aussi célèbre. Le champ de forces constitue l’espace à partir des puissances mises en œuvre par les adversaires : organisation d’ensemble, implication radicale, moyens culturels et techniques. Si, dans le royaume ou l’empire, le champ de forces faiblit, les frontières les plus solides sont franchies. En ont témoigné en Chine les conquêtes étendues et rapides des Mongols et, plus tard, des Mandchous. L’espace conquis doit être conservé, voire développé, avec ses caractéristiques de rentabilité antérieure à la conquête et qui la rendait attractive. Il ne faut pas perdre ou il faut retrouver l’accumulation de richesses permettant la levée de l’impôt pour l’entretien, le maintien, le renforcement d’un Etat à la fois ferme organisateur à l’intérieur et, si possible, encore conquérant à l’extérieur. C’est cela qui fut à l’origine de la dynamique répétitive d’affrontements entre nomades et sédentaires, établie par Ibn Khaldoun. Selon lui, la puissance militaire « nomade » de départ s’épuisait en trois générations au contact de l’organisation sédentaire productive. Cela indiquait la tendance à un rythme de base du renouvellement des empires.
Dans le temps du relatif équilibre impérial qui se reproduit, l’espace intrasociétal élémentaire et bien circonscrit des royaumes et des empires, c’est le pays (en anglais, country ; en allemand, Land). Il est souvent imaginairement et rituellement référé à la continuité ancestrale (Heimat) et à la paix du travail poursuivie sous le ciel, paix supposée garantie par des pouvoirs légitimant ainsi la levée de l’impôt. « Paix des champs » chinoise ou pax romana célébrée par Virgile.
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Espaces-types et formes de société
Dans un ouvrage intitulé Le monde: espaces et systèmes, les auteurs, Durand, Lévy, Retaillé, historiens et géographes, nous présentent d’entrée quatre grands types de constructions sociétales – tribu, empire, nation, société monde – auxquels ils imputent des types d’espaces internes et externes qui leur sont spécifiques. Voir : Espace et tribu - Espace, royaume et empire » - « Espace et nation-marchande - Espace, planète et cosmos. »
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Interculturation
Ensemble des multiples et profonds processus d’interférence et d’interaction des cultures. L’interculturation existe dès qu’interagissent des acteurs humains avec leurs différences stratégiques et culturelles. Elle s’applique donc déjà à l’intérieur d’une même culture car ses acteurs relèvent de libertés et de milieux déjà différents. L’interculturation s’applique au devenir de la culture d’un seul et même individu ; il est, en effet, différent de lui-même par sa liberté et les milieux variables de son espace-temps. L’acculturation n’est pas une notion rivale ou opposée qu’il faudrait choisir contre la notion d’interculturation ou qu’il faudrait rejeter. L’interculturation est la notion la plus générale car elle ne précise pas la nature des pôles qui entrent en culturation. Ils peuvent être symétriques ou asymétriques. Par exemple, être constitués par des acteurs de puissance plus ou moins comparable ou au contraire par des acteurs dont les uns dominent manifestement les autres. C’est dans ce dernier cas que le terme d’acculturation peut convenir comme acculturation des dominés contraints ou séduits par la culture des dominants. Un emploi préférentiel du terme « acculturation » a l’inconvénient de laisser croire qu’elle constitue la notion la plus représentative du réel. Autrement dit que les évolutions culturelles se font toujours sous l’influence des dominants. Or, Les dominés ne manquent pas de ressources pour se défendre, répliquer, inventer. C’est ce qu’a voulu définir et détailler Georges Devereux quand il a inventé l’expression « acculturation antagoniste » (voir ce terme et sa définition). Judicieusement correctrice et utile, la notion d’acculturation ainsi modifiée par l’adjectif « antagoniste » ne peut pas nous dispenser de celle d’interculturation. En effet, souvent, il ne sera pas possible de distinguer quels acteurs auraient en tout une culture plus puissante alors que d’autres en auraient une en tout plus faible. Ce n’est là qu’une situation extrême. Dans nombre de situations plus fréquentes, une culture et ses acteurs disposent d’atouts stratégiques et culturels d’un certain ordre qui peuvent faire la différence et leur donner par exemple une victoire militaire. Cette victoire obtenue, ils se trouvent au contact des vaincus qui ont gardé d’autres atouts : l’étendue de leur territoire, l’importance de leur population, ou telle caractéristique culturelle supérieure. Les vainqueurs militaires peuvent trouver judicieux de s’y référer. On a ainsi deux acculturations de sens inverse parce que les deux protagonistes ont chacun des atouts supérieurs qui manquent aux autres. Cette situation a été dominante et récurrente pendant trois millénaires au moins pendant lesquels les sédentaires ont dû produire leur culture en référence aux menaces des nomades. Mais les nomades une fois vainqueurs se sont acculturés aux sédentaires qui dominaient par la capacité d’organiser une société plus complexe. On a l’impression que, dans ce cas classique, l’interculturation, fruit d’une double acculturation inverse, fonctionne selon le principe physique des « vases communicants ». Les humains se remettent mutuellement à niveau en échangeant leurs acquis et leurs atouts. La guerre et le mélange qui s’en suit apparaissent comme le seul processus trouvé pour y parvenir. Ce qui pose la question du rapport « coûts bénéfices » de ce processus guerrier et de la possibilité d’inventer d’autres processus d’interculturation éventuellement moins coûteux. * Demorgon Jacques, L’interculturation du monde, 2000, Paris : Economica, épuisé Demorgon Jacques, Complexité des cultures et de l’interculturel. Contre les pensées uniques. Paris, Economica, 2010.
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Japon (« Acculturation japonaise antagoniste et son évolution »)
Japon (voir« Acculturation japonaise antagoniste et son évolution »)
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Inculturation
Terme pas encore généralisé, présent, nous allons voir pourquoi, dans le vocabulaire de la missiologie chrétienne. L’inculturation peut se définir en contraste avec l’acculturation. Dans l’acculturation, la culture dominante va « vers » la culture dominée. « Ac » vaut pour « Ad » (cf. Acculturation contresens). Dans l’inculturation, la culture dominante accepte de se laisser plus ou moins volontairement pénétrer par des données culturelles venues de la culture dominée. Ainsi, le culte des Saints a représenté pour l’Eglise catholique une volonté de s’adapter aux religions antérieures souvent polythéistes, c’est-à-dire honorant plusieurs voire de nombreuses divinités. Selon les cas, l’inculturation n’est qu’une conduite stratégique habile pour obtenir que la culture dominante maintienne plus facilement son pouvoir sur les acteurs des sociétés et cultures dominées. On ne doit cependant pas exclure que l’inculturation puisse représenter un ajustement culturel jugé en soi positif pour les dominants. Mais surtout, il convient de constater que rencontres et échanges culturels entre dominants et dominés s’auto-organisent en eux-mêmes sans pouvoir toujours relever d’une stricte volonté des uns et des autres. C’est l’une des raisons réalistes et logiques pour lesquelles la notion à tous égards la plus complète est bien celle d’« interculturation ».
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Infraculturel
Terme peu utilisé. Cependant, il désigne ce qui se situe et fait lien entre le biologique déjà là et le culturel qui commence. On pensera à des mouvements déjà biologiquement structurés, facilement repris, pouvant constituer des prémisses culturelles. Ainsi, poussée, frappe, avec leurs instruments d’abord occasionnels. Ou encore poursuite, ou fuite devenant « course ».
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Interculturalisme
Le terme est employé par ceux qui proposent l’interculturalité comme horizon voire solution aux problèmes des relations internationales en contexte de mondialisation. Il s’oppose au multiculturalisme qui garde les différences comme pouvant coexister en tolérance positive réciproque. L’interculturalisme entend aller plus loin vers une réciprocité d’évolutions culturelles partagées grâce aux interactions acceptées et même recherchées entre acteurs de diverses cultures. Aucune de ces deux doctrines n’est validée pour ceux qui préfèrent une troisième voie : le transculturalisme qui recherche davantage l’unité. Dans les réalités historiques, chaque orientation peut un temps primer sur les deux autres comme le montrent les exemples tirés des histoires de la France et des Etats-Unis (cf. France, Etats-Unis).
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Intraculturation, intraculturel
On peut vouloir nommer « intraculturels » les changements qui se produisent à l’intérieur d’une culture unique même si elle est composite. Cependant cette « intraculturation » concerne des individus, des groupes, des ensembles humains qui ont en eux-mêmes des différences à l’intérieur de leur culture commune. En ce sens, l’intraculturation – qui s’applique même à un seul individu aux prises avec ses propres différences – n’est qu’une variante de l’interculturation. Intraculturel et interculturel ne s’opposent pas. Ce point est important car il indique que les changements internes à une culture – nationale ou civilisationnelle – et les changements externes entre cultures ne sont pas différents en nature mais seulement par le degré des difficultés.
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Métaculturel
Pour quelques auteurs, il faut aussi définir un « métaculturel ». Il ne faut pas le confondre avec le transculturel (cf. transculturel). Le transculturel peut concerner un grand nombre de cultures mais jamais toutes. Le « métaculturel » est posé comme le niveau de connaissance et d’existence qui rendrait possible un traitement de toutes les cultures humaines comme ensemble. Un tel métaculturel n’est peut-être pas davantage définissable que comme un horizon qui concernerait toutes les cultures humaines. Certains auteurs pourront penser que ce « métaculturel » devrait renvoyer à la perspective globale religieuse ou cosmique.
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Multiculturalisme
Le multiculturalisme se présente, en effet, comme une solution existentielle et politique pour traiter des faits multiculturels. Charles Taylor en a explicité la doctrine. Il s’agit d’une politique de la reconnaissance de la culture de l’autre et de son droit à pouvoir la manifester sous ses multiples dimensions privées et publiques. Le multiculturalisme entraîne tout un ensemble de conduites sociales et juridiques qui visent à compenser les situations défavorables de certaines populations culturellement et politiquement minoritaires. La discrimination positive cherche ainsi à rééquilibrer des injustices de la vie quotidienne. Au plan des connaissances, le multiculturalisme a donné lieu à tout un ensemble de travaux nouveaux conduisant aussi à des réécritures de l’histoire. Par exemple, une histoire multiculturelle de la Méditerranée a été entreprise. De tels travaux pourront avoir un impact à long terme, couplés à des formations scolaires et universitaires et repris par les médias.
Au-delà de ces aspects positifs, le multiculturalisme bute sur plusieurs difficultés sans parvenir à les surmonter. D’une part, il est accusé de figer les identités dans des catégories qui ne peuvent tenir compte des évolutions en cours. De plus, il est également accusé de se substituer aux luttes politiques et sociales. Par exemple, aux États-Unis, l’évolution multiculturaliste semble dépendre d’au moins trois causes : 1) l’échec relatif de la lutte pour les droits civiques ; 2) le maintien des flux migratoires ; 3) les politiques économiques productrices d’inégalités sociales croissantes. Les revendications multiculturalistes ont été également vives au Canada en raison des relations difficiles des anglophones et des francophones, en particulier au Québec. Le cas de l’Afrique du sud est apparu comme une épreuve pour la pensée multiculturaliste. En effet, il ne s’agissait pas de rééquilibrer les avantages d’une minorité défavorisée mais de rétablir la majorité dans ses droits. Il s’agissait plutôt de passer d’une situation multiculturelle de ségrégation à des perspectives éthiques et juridiques transculturelles accordant aux populations noires la même considération qu’aux populations blanches. Problèmes sociopolitiques et socioculturels ne devraient pas se substituer les uns aux autres mais devraient être traités ensemble. Dans d’autres lieux et dans d’autres circonstances, par exemple en Australie, le multiculturalisme entraîne la récupération marchande des artisanats indigènes. Les cultures originales sont souvent moins respectées qu’instrumentalisées. Pour toutes ces raisons, le multiculturalisme a incontestablement un visage ambigu : libération d’un côté, enfermement de l’autre. David A. Hollinger (1995) s’est, par exemple, clairement positionné en publiant à New York un ouvrage dans lequel il se situe « au-delà du multiculturalisme ». Certes, l’orientation multiculturelle a pu conquérir une position morale en cherchant à promouvoir un différentialisme du respect des différences mais elle n’est jamais exempte d’un indifférentisme qui peut reconduire au ségrégationnisme, voire à l’extermination génocidaire. Tout cela existe, malheureusement, et c’est donc, époque par époque et lieu par lieu qu’il faut traiter ces questions. Au cas par cas et non en fonction d’une idéologie d’ensemble qui risque toujours d’être démentie aujourd’hui ou demain. Situations multiculturelles et multiculturalisme représentent bien des dimensions irréductibles mais insuffisantes de l’équilibration des relations entre populations culturellement différentes.
En savoir plus :
Jacques Demorgon recense le livre de
Milena Doytcheva, 2005, Le Multiculturalisme, Paris : La Découverte.
Dans « Le multiculturalisme », Mylena Doytcheva propose un historique, une synthèse théorique, un bilan pratique international. Le multiculturalisme s’inscrit dans une démocratie politique intégrant, hier, les droits économiques ; aujourd’hui, les droits ethnoculturels. Reste une crainte : des communautés peuvent en profiter pour entamer la liberté de leurs membres. Le multiculturalisme se défend de ce risque à travers des travaux théoriques de fondation et de clarification comme ceux de Charles Taylor et de Will Kymlica. Suivent un historique et un bilan des développements du multiculturalisme dans les différents pays. Pays pionniers, le Canada et l’Australie : la forte diversité culturelle y imposait la recherche d’un vivre ensemble plus large. Aux États-Unis, pays du melting-pot blanc, le mouvement pour les droits civiques obtint des mesures en faveur des minorités raciales. Des chaires d’études ethniques furent créées dans les universités. Pourtant jusqu’en 1988, le terme « multiculturalisme », est absent de la grande presse et ne s’y installe vraiment qu’entre 1990 et 1994. Aujourd’hui encore, les discriminations positives sont loin d’être assurées ; ainsi, dix-sept États ont adopté une loi : « English only ». A la même époque, nombre de pays d’Amérique Latine se définissent clairement comme des nations multiculturelles. En Europe, le multiculturalisme n’a pas vaincu les racismes nourris de nostalgie du national. La France du modèle républicain a cependant inventé des politiques de « discrimination positive » en partant de lieux défavorisés (banlieues) et non de distinctions ethnoculturelles. Pour Mylena Doytcheva, « un certain multiculturalisme de fait » semble « aujourd’hui durablement installé », reconnaissant la personne humaine, « dans ses dimensions identitaire et culturelle. ». Ce multiculturalisme s’enracine, à la fois, dans l’horreur génocidaire, et dans un aujourd’hui d’immigrations plus qu’insistantes. Mais les obstacles restent prégnants : Mylena Doytcheva évoque le onze septembre 2001. Les différences économiques et culturelles menacent les tentatives multiculturalistes. Celles-ci peuvent régresser et, trop affaiblies, disparaître, faute de pouvoir imaginer l’horizon, même lointain, d’un multiculturalisme mondial. Mylena Doytcheva a traité du multiculturalisme de façon complète mais stricte, sans aborder sa confrontation ou sa coopération avec les perspectives interculturelles et transculturelles, d’ordinaire conjointement évoquées. Ainsi par le sociologue Alain Touraine, le politologue martiniquais Fred Constant ; ou encore par le linguiste mauricien Issa Asgarally préfacé par le prix nobel de littérature Jean-Marie Le Clézio.
Bibliographie :
- Asgarally Issa, 2005, L'interculturel ou la guerre. Port Louis, Ile Maurice : Presses du MSM - Demorgon Jacques, 2005, Critique de l’interculturel : l’horizon de la sociologie, Paris : Economica - Touraine Alain, 2005, Un nouveau paradigme, Paris : Fayard - Constant Fred, 2001, Le multiculturalisme, Paris : Flammarion.
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Multiculturel
S’identifier, se distinguer, exister de manière spécifique et même unique, constituent un besoin inaliénable de tout individu, de tout groupe, de toute organisation, de toute société. En ce sens, il y a une base irréductible au fait multiculturel. L’orientation multiculturelle correspond à des situations dans lesquelles les différences demeurent fortes. Reste qu’à partir de là on peut avoir les pires hostilités et ségrégations, ou diverses tolérances. Des sociétés dominantes peuvent imposer certaines formes de distinction et de séparation. Par contre, le moment multiculturel éthique prend acte des différences particulières et singulières. Il peut vouloir garantir séparation mais tolérance. Cela inspire parfois un relativisme culturel qui, pour s’attaquer à la domination de la culture occidentale, entend revaloriser les autres cultures en prétendant que toutes se valent. Ce faisant, on affaiblit l’exigence critique qui doit porter sur toutes les cultures. Celles-ci doivent être analysées, éprouvées pour être améliorées. Le multiculturalisme entend corriger les situations de discrimination négative en préconisant des actions de discrimination positive. Cela suppose certaines valeurs communes et donc déjà une orientation transculturelle au moins minimale.
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Multiculturel planétaire
À l’échelle de la planète, le multiculturel de l’humanité est visible à travers de grandes zones à la fois géoclimatiques et civilisationnelles (alimentaires, vestimentaires). Elles se sont constituées au cours d’une géohistoire faite de décalages temporels séculaires voire millénaires. Ainsi hindouisme et bouddhisme, christianisme et islam ne sont pas apparus au même moment. Décalages aussi en raison de la configuration de l’espace terrestre constitué de certains espaces difficiles à vaincre : forêts, déserts, montagnes, océans. Les grandes zones culturelles différentes, en particulier religieuses, correspondent pour une large part à des continents ou semi-continents, plus ou moins isolés les uns des autres. A une échelle temporelle moins vaste, les phases multiculturelles d’arrangement relatif sont souvent postérieures à des périodes guerrières au cours desquelles le but fut plutôt l’extermination des autres ou leur rejet au-delà d’un certain territoire. Si ce rejet échoue, les groupes sociaux hostiles peuvent s’arranger, provisoirement, d’un certain partage territorial et même peuvent, après un temps plus ou moins long et des contraintes fortes, finir par relativiser les anciens griefs. On le voit clairement aujourd’hui à Chypre où la réconciliation des Grecs et des Turcs est, non sans problèmes encore, à l’ordre du jour. La coexistence sur un même territoire de groupes sociaux, hier en hostilité, demeure souvent fragile, d’autant plus quand il s’agit de populations qui ont vu hier, avant hier, s’installer chez elles d’autres populations autoritairement déportées. Ce fut le cas, par exemple, dans les Balkans. La coexistence de populations différentes peut se maintenir pacifiquement si des intérêts économiques sont partagés et un équilibre démographique respecté. Par contre, quand les déséquilibres économiques, démographiques et politiques s’associent, la reprise des conflits reste toujours possible. Le Liban, la Yougoslavie, la Serbie avec le Kosovo, l’Ukraine en donnent des exemples significatifs. En y ajoutant tout le tragique en cours au Proche, au Moyen Orient, en Afrique. Les circonstances peuvent déstabiliser des situations multiculturelles apparemment pacifiques.
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Multiculturel : ségrégation, séparation, tolérance
Si l’on regarde plutôt du côté de la séparation des groupes avec leurs différences culturelles, c’est l’adjectif « multiculturel » qui généralement s’emploie. Toutefois, ces relations culturelles différentes peuvent être hostiles, indifférentes ou respectueuses. On passe ainsi d’une séparation de ségrégation, souvent inhumaine, à une politique de la reconnaissance, de l’acceptation, de la tolérance de l’autre, prenant même corps dans une philosophie éthique, nommée « multiculturalisme ». Ce multiculturalisme est une référence au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, maintenant en Europe continentale où il peut aussi se voir à nouveau marginalisé, comme en France et maintenant en Allemagne.
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« multi, trans, interculturel » historique en France
Ces trois perspectives interfèrent dans les expériences en évolution des personnes, comme dans celles des groupes et des sociétés. Ainsi, en France, l’unification politique a fortement pesé en faveur d’un transculturel politico-religieux de type catholique gallican. Dans ce contexte, les cultures du Sud n’eurent à choisir qu’entre la disparition et l’assimilation (ce fut le cas des Cathares). Plus tard, les Protestants passèrent aussi de l’édit de Nantes, avec Henri IV, à sa révocation par Louis XIV, c’est à dire de l’assimilation à l’exclusion. Après la chute de l’Ancien Régime, le transculturel politico-religieux est devenu le transculturel républicain. La Révolution Française réduisit les Provinces (parfois d’anciens royaumes) à de simples départements français et tenta de recouvrir toutes les disparités sociales par l’institution unique de la citoyenneté. La même politique d’assimilation, on le sait, servit aussi d’idéologie dans l’empire colonial français. Les appartenances religieuses furent également assimilées les unes aux autres comme relevant des consciences privées et d’un respect mutuel consenti dans leurs manifestations publiques. La laïcité se mit en place comme idéal également transculturel. La multiculturalité planétaire liée aux échanges internationaux économiques, migratoires, touristiques, met en question ce transculturalisme à la française. Du coup, entre ce transculturalisme d’hier et cette multiculturalité obstinée d’aujourd’hui, la perspective « interculturelle » commence à se faire jour dans la réflexion et la pratique politiques françaises. Consultons le Dictionnaire culturel en langue française d’Alain Rey (2005) : 250 termes commencent par « inter », 170 par « trans » et seulement 80 par « multi ».
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« multi, trans, interculturel » historique aux Etats-Unis
Aux États-Unis on découvre une autre évolution. On a d’abord une sorte de transculturalisme - partiel - visant à unifier toutes les populations blanches seulement. C’est le fameux « melting pot », titre d’une pièce de théâtre à grand succès de 1917. Il a fallu une longue évolution et des sacrifices comme celui de Martin Luther King pour que l’intégration des noirs progresse. Dès lors, c’est la perspective multiculturelle et le multiculturalisme qui l’emportent. Nathan Glazer (1998) évoque une recherche longitudinale sur un échantillon de la presse américaine. Le terme « multiculturalisme », absent jusqu’en 1988, apparaît une centaine de fois en 1990, déjà 600 fois en 1991, et 1500 fois en 1994. Changement net. Par contre, l’interculturel, sur toute la seconde moitié du 20e siècle, a été aux Etats-Unis, dans les sciences humaines en général une référence importante. Avec d’abord l’œuvre de E.T. Hall attentive à quatre domaines : les Indiens, la diplomatie étrangère, les étudiants étrangers des campus américains, la mondialisation commerciale et managériale. En témoignent des revues, la création de Sietar International, la grande enquête commandée à Hofstede par I.B.M. sur tous les pays disposant d’une filiale de l’entreprise. Sur les campus américains, cet interculturel a même été critiqué comme privilégiant la coexistence, plus que l’échange véritable. D’où la nouvelle perspective d’un transculturel des rencontres, des produits et des œuvres, en métissage dans « le village mondial ».
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Transculturel (quatre sens)
Pourquoi quatre sens ? Parce que « trans » désigne le processus de passage qui, au sens un, est en cours ; et, au sens deux, terminé. De plus, ce processus de passage peut avoir, par exemple avec la vie, une origine qui dépasse toute culture : sens trois. Enfin, ce processus de passage peut avoir une perspective, tel un idéal nouveau inconnu jusqu’ici, qui dépasse aussi toute culture : sens quatre. Le premier sens de « trans » concerne le mouvement de passage d’un lieu à un autre, d’une époque à une autre, d’un domaine à un autre... Une percée transalpine, comme celle d’un tunnel autoroutier ou ferroviaire, franchit les Alpes. Un voyage transatlantique franchit l’Océan. Une donnée transculturelle a pour tendance d’aller vers un autre pays, un autre domaine, une autre époque. D’autres termes ont été, sont ou seront employés : diffusion, transmission, imposition, conquête, invasion, selon l’appréciation positive, négative ou neutre du phénomène. Les exemples sont nombreux dans les domaines des mœurs corporelles (cosmétique, hygiène) ou vestimentaires (voile, jean, mini-jupe) ou bien sûr alimentaires (couscous, pizza, coca...). On pourra penser aussi à la transculturalité des religions (extension des pèlerinages) ; à la transculturalité dont est porteuse une langue qui s’étend comme l’ont fait les langues indoeuropéennes, singulièrement aujourd’hui l’anglais. Et, évidemment, c’est vrai des techniques : cheval de trait ou monté, bicyclette, auto, train, avion, navette spatiale. Ajoutons-y les pratiques de scolarisation, d’éducation, de loisir, touristiques, sportives. Ou encore l’extension de savoirs et de normes. Les institutions politiques ne sont pas exclues. On peut penser que la démocratie – qui s’étend ou qui régresse – est porteuse d’une transculturalité contrastée. Second sens. Une fois le passage acculturant effectué, la donnée culturelle qui se manifeste dans plusieurs domaines, pays ou époques, mérite d’autant plus cette dénomination de « transculturelle » : elle a pénétré et ainsi, au moins en partie, unifié une multiplicité de cultures. Elle les traverse toutes et leur est commune. Les exemples donnés précédemment sont encore plus valables. On pourrait en donner d’autres dans les domaines artistiques comme l’expansion de la musique classique ou du jazz… Troisième sens. Le transculturel ne caractérise pas telle culture en expansion (sens un), ni ne désigne une manifestation devenue commune à un ensemble de cultures (sens deux). Tout au contraire, il désigne ce qui est au-delà, ou mieux en deçà du domaine culturel (sens trois). Ainsi, le biologique de l’espèce humaine – l’hominisation – transcende toute culture. Toutefois, chacune des cultures humaines a la possibilité de prendre mieux ou non acte de ce transculturel biologique et de faire passer l’espèce humaine de l’hominisation à l’humanisation. L’humanisation n’est toujours pas devenue transculturelle. Si elle l’était, elle traverserait alors toute culture (au sens deux). Elle serait devenue capable de contenir autrement mieux les meurtres individuels ou de masse, tels ceux de la Shoah. Quatrième sens : le transculturel concerne aussi un idéal, une valeur qui permet à des acteurs de différentes cultures de pouvoir s’accepter comme faisant partie d’un même ensemble. Les religions ont souvent tenté de jouer ce rôle transculturel. Elles permettaient à des populations d’origine géographique et culturelle différente ainsi qu’à leurs couches sociales elles-mêmes différentes de se reconnaître semblables à partir d’une foi nouvelle commune. Par la suite, le pouvoir politique s’est, plus ou moins, conjugué avec le religieux pour produire cette indispensable dimension transculturelle, sans cesse menacée par les fluctuations des victoires, des conquêtes, des défaites. Nous avons bien ainsi le transculturel au sens de ce qui d’abord n’est dans aucune des cultures mais peut justement se proposer comme les accordant. D’autres idéaux que les religions y prétendent aussi : la tolérance, la laïcité, la paix dans le monde, la découverte scientifique, l’exploit partagé et, en général, toute perspective d’unification d’un pays ou d’un ensemble de pays. Si cette perspective de transculturalité peut être efficace un certain temps et conduire à des rapprochements effectifs voire durables, elle ne peut jamais être unificatrice sur tous les plans. Les chrétiens pouvaient au départ s’unir pour partir en croisade mais cela ne garantissait pas toujours le maintien de la paix entre eux. Par la suite, des schismes réintroduisent la division là où il y avait unité. Des oppositions violentes allèrent même jusqu’aux guerres de religions. Hier, entre chrétiens, protestants ou catholiques. Aujourd’hui, entre musulmans, sunnites et chiites. Si cette transculturalité, à visée universelle, échoue et se défait, elle reprend sous d’autres formes, dès que des sociétés et leurs acteurs recherchent l’unification. Le transculturel est ainsi à la fois irréductible et toujours ambigu.
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Transculturel de génération (d’âge) lié à l’histoire
Si les jeunes se tiennent à distance de problématiques interculturelles européennes ou mondiales, c’est qu’elles sont souvent bien trop générales. Ils sont à des âges où leur construction identitaire les oblige à se distinguer en se séparant voire en s’opposant. Ils ont par exemple le sentiment de constituer, en eux-mêmes, un groupe humain spécifique que l’on nomme couramment « les jeunes ». Ils se sentent légitimement opposés aux adultes. Les phénomènes historiques accélérés donnent des points de repères bien différents aux générations successives : Première Guerre puis Seconde Guerre mondiales, Evénements de 1968, Chute du Mur de Berlin en 1989, destruction du World Trade Center en 2001. Il y a ainsi un transculturel générationnel qui peut en partie transcender les pays et les langues mais pas les âges.
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Transculturel de la mondialisation
Le transculturel de la mondialisation se fonde sur la constitution de la série, toujours plus grande, des individus intéressés par l’achat d’un produit donné de faible variation. C’est cela qui constitue l’échelle mondiale économique. Un tel transculturel est menacé par l’existence de transculturels rivaux comme celui de la religion qui a la capacité de proscrire efficacement tel achat, par exemple d’alcool. Ou de vêtements, féminin, jugés impudiques. Comme les communautés et leurs cultures sont nombreuses et résistantes dans leur espace-temps spécifique, une trop grande généralité du produit x est intenable. Par contre, le transculturel de la mondialisation peut, dans une certaine mesure, accepter de varier les produits mais il ne cesse d’être le transculturel de la consommation. Pour celui-ci, l’individu consommateur sériel n’est pas constitué comme tel en tant qu’il achète tel produit, mais simplement par le fait qu’il lui faut acheter quelque chose, quoi que ce soit. Le transculturel de la consommation mondialisée transforme tous les biens en biens marchands. Cette pression est telle qu’elle atteint les croyances elles-mêmes. Le philosophe Pedro Cordoba (2003) peut écrire : « on nous appelle à la grand messe du marché. Y compris dans le domaine religieux : croyances à la carte, au bon plaisir des idiots : je veux bien croire, mais à ma manière, je fais moi-même mes courses au Super Casino des croyances et compose mon menu : le Golgotha et Katmandou, le christianisme et le bouddhisme, un congelé d’Évangile et un prêt-à-bouffer de réincarnation. C’est cela, l’individualisation des conduites et des comportements, inséparable de la nouvelle démocratie : triomphe du laos, en tant qu’il signifie l’éparpillement du demos. Et ce processus affecte pareillement toutes nos institutions, l’État, l’Église, l’École, les députés et les ministres, les prêtres et les professeurs, progressivement remplacés par les démagogues du sondage d’opinion, les funambules de la foi et les gourous de la pédagogie ». Le transculturel de la mondialisation porte en second lieu sur la conception du travail. Celui-ci n’est plus pris en compte que par son coût pour les entrepreneurs. Les coûts étant comparés à l’échelle mondiale, les coûts les moins chers sont choisis, obligeant les coûts supérieurs à diminuer. Ainsi s’instaure une transculturalité en partie imaginaire du produit le moins cher et du travail au coût le plus bas.
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Transculturel de la mondialité
On ne distingue pas, ou peu, ou mal la mondialité et la mondialisation. La mondialisation est fort ancienne. Elle remonte au moins aux premières extensions des peuples humains à la surface de la terre. Certes, l’actuelle mondialisation est spécifique par la nouvelle circulation planétaire des biens, des personnes, des informations et des capitaux. Mondialité est un terme pourtant déjà centenaire. Dès 1904, de Greffe présente et publie « L’ère de la mondialité. Celle-ci suppose une prise de conscience d’une situation de globalisation, déjà géophysique, du destin des humains. Elle a reçu un soutien décisif depuis 1969, c’est-à-dire depuis que tout homme peut emprunter au cosmonaute son regard en extériorité sur le site cosmique de la Terre. De ce regard, découlent des possibilités nouvelles avec trois transculturalités. D’abord, la transculturalité écologique, c’est-à-dire la culture de l’interdépendance dans la biosphère. Ensuite, la transculturalité géohistorique, c’est-à-dire la culture de l’histoire humaine comme ensemble planétaire. Enfin, la transculturalité biocosmique, c’est-à-dire la culture partagée de la condition humaine dans sa relation à l’infini cosmique. Le poète et penseur antillais, Edouard Glissant (1993, 1997), a beaucoup fait pour affirmer sa foi en cette mondialité qui transcende la mondialisation, plaçant l’expression « Tout-Monde » en titre d’un roman et d’un traité philosophique. Plus qu’un simple fait, la mondialité, comme « Tout-Monde », est un « fait-valeur » : celui d’un « commun » d’unité et de diversité inséparables. Tel est ce transculturel de la mondialité à peine naissant.
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Transculturel esthétique
A côté des données historiques précédentes, d’autres données interviennent tel que le renouvellement des productions esthétiques : musiques, peintures, films, jeux vidéo, qui sont continuellement ressentis comme se développant au niveau mondial et non pas national. Le transculturel d’ordre esthétique est loin de se limiter aux modes musicales du moment. Il est beaucoup plus général. On en trouve un exemple saisissant dans des observations-participantes faites au cours de cycles de rencontres franco-germano-russes. Le groupe français se constitue autour d’une activité de théâtre, le groupe russe autour d’une activité de danse et le groupe allemand autour d’une activité de musique. Ni les jeunes en rencontre, ni leurs animateurs responsables ne s’interrogent sur une possible relation, plus ou moins privilégiée peut-être, de tel ou tel art à telle ou telle nation. Chaque art est déjà en lui-même compris par tous comme transculturel. On a même d’ailleurs formulé dans ce groupe trinational le projet d’un spectacle total qui sera ainsi transculturel par rapport à l’ensemble même des arts mis en œuvre.
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Transculturel européen
Dans les rencontres éducatives européennes, le transculturel européen est lui aussi fréquemment présent et se substitue aisément au multiculturel comme à l’interculturel, bi, tri ou plurinational. Ce transculturel européen tient à la fois du réel par exemple dans la constitution effective d’un espace-temps européen, commun, dit de Schengen qui autorise la libre circulation et l’établissement personnel, professionnel de tous les ressortissants des Etats qui en font partie. Mais il est peut-être plus encore surtout imaginaire dans la mesure où l’unité européenne est plus largement postulée que réalisée. Les crises de cette difficile construction européenne sont continuelles. Le transculturel européen (le drapeau !) se voit ainsi barré en raison des origines historiques et des cultures différentes des pays. Ou encore pour des raisons de niveaux économiques différents entre pays du nord comme l’Allemagne et pays du sud comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal. Tout un travail serait nécessaire pour que la dimension transculturelle de l’Europe puisse s’affirmer par rapport aux pesanteurs ou ressources multiculturelles. Ce travail dispose de possibilités avec, les Offices pour les Jeunesses franco-allemandes ou germano-polonaises ; avec Erasmus pour les étudiants. C’est loin d’être suffisant. Ces échanges interculturels internationaux devraient être autrement fréquents et soutenus dans tous les domaines. C’est parfois le cas dans les entreprises pour améliorer la coopération. Mais les entreprises ont aussi leur propre transculturel mondialisé. Toutes ces analyses confirment qu’il faut être en mesure de traiter avec rigueur et continuité de véritables enchevêtrements multi, trans, interculturel.
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Transculturel linguistique
Dans certaines pédagogies des échanges franco-allemands, se mettent en place des tandems linguistiques. Souvent, c’est l’échec, les jeunes se débrouillent pour communiquer de toutes les façons, verbales (même pauvres) et non verbales. Un chercheur travaillant avec des étudiants en cursus franco-allemand de commerce international était invité à participer à un grand jeu d’entreprise s’étendant sur trois journées. Au cours de ce jeu, si les Français et les Allemands lors des pauses pouvaient parler leur langue en aparté, dans tous les moments principaux de cette formation, les activités se déroulaient toutes en anglais. Le transculturel linguistique, à partir de l’anglais comme lingua franca, ne cesse de se développer.
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Transculturel technologique, professionnel, écologique, etc.
Les rencontres éducatives européennes ont mis en évidence que les étudiants de nationalités et de langues différentes se référaient constamment à des dimensions transculturelles pour atténuer leurs difficultés. On a déjà noté le recours à l’anglais élémentaire mais il faut y ajouter un transculturel d’ordre technologique général, comme le recours à Internet – ou technologique spécifique, comme par exemple l’art graphique. Des participants notent ainsi que « le langage graphique se veut universel et doit démontrer, énoncer, convaincre, de façon ludique le visiteur du site ». Par ailleurs, un transculturel d’ordre écologique est aussi fréquemment évoqué, souvent de façon idéologique, mais parfois aussi de façon technologique.
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Transculturel « yougoslave »
Le transculturel se présente souvent comme un moyen d’éviter les conflits en mettant l’accent non sur ce qui divise mais sur ce qui unit populations et pays. Parfois des conquérants ou des chefs prestigieux imposent la paix civile à des peuples différents dans un même pays. Pour les Yougoslaves, le cas du Maréchal Tito est exemplaire. Trois facteurs fondent sa stratégie transculturelle : 1) sa contribution à la victoire pendant la Deuxième Guerre mondiale ; 2) le rôle indépendant qu’il fait jouer à la Yougoslavie entre l’Est et l’Ouest ; 3) sa nationalité croate qui, pour les Croates, garantit l’équilibre par rapport aux Serbes. Ces trois facteurs ont permis de faire au moins momentanément primer la dimension transculturelle dans une Yougoslavie profondément multiculturelle. Ce que la suite de l’histoire devait souligner avec les guerres des Balkans à la fin du vingtième siècle. Le transculturel « yougoslave » s’est révélé fragile et les guerres des Balkans ont même mis en évidence le tragique d’un multiculturel ségrégationniste meurtrier.
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Transculturels religieux et politiques et leurs limites
Si l’on regarde plutôt du côté de ce qui rassemble les personnes, les groupes ou les sociétés, les relations sont souvent qualifiées de « transculturelles ». Ces références transculturelles peuvent être prises dans le domaine religieux (catholique signifie universel) ou dans le domaine politique. Ce dernier cas est celui de la France républicaine. Nombre de ses habitants se réclament d’un transculturel républicain, laïque. Les relations transculturelles peuvent être plus ou moins souhaitées et plus ou moins fondées. Cependant, aucune religion n’a vraiment pu devenir universelle, aucune politique laïque non plus.
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