Une recension canadienne de la 5e édition de Jacques Demorgon, Complexité des cultures et de l’interculturel. Contre les pensées uniques. 5e éd. revue et augmentée, Paris, Economica, 2015, 331 p.
Recension proposée par Roger Gervais, université Ste Anne, Pointe-de-l’Église (Nouvelle-Écosse, Canada) In Nouvelles perspectives en sciences sociales. Revue internationale de systémique complexe et d’études relationnelles, vol. 12/2, mai 2017 p.163-166
*

L’interaction entre les cultures intéresse la sociologie depuis ses tout débuts. Montesquieu s’y intéressait. Durkheim aussi. Karl Marx également. Ce n’est donc pas surprenant de voir des sociologues contemporains creuser le sujet. Dans le livre Complexité des cultures et de l’interculturel. Contre les pensées uniques, c’est tout justement ce que nous propose Jacques Demorgon. Ce livre, en 5e édition, se veut une approche la plus complète possible du phénomène de l’interculturalité et de la mondialisation.

Dans la première partie du livre, l’auteur présente trois perspectives sur les cultures. Il commence avec la perspective « Particulariser », livrant un point de vue qui tient compte de la « culture comme somme des particularités » (p. 42); il met l’accent sur un humain qui est conscient des différences et il soutient que c’est par l’individu qu’on peut observer ce particulier; il considère même comme naïves les personnes qui ne sont pas étonnées par le particulier (p. 43). On est ici dans une approche ethno-méthodologique.
Demorgon présente ensuite quelques grandes tendances sociétales. Il identifie quatre grandes formes historiques de sociétés, depuis les communautés tribales jusqu’aux sociétés informationnelles mondiales; il insiste alors sur l’adaptation. L’approche est structuro-fonctionnaliste.
Il relève quatre grands secteurs d’activités sociétales : le religieux, le politique, l’économique et l’informationnel. L’auteur passe donc d’une analyse « microsociologique » à une analyse « macrosociologique ». Toutefois, dans le but de jeter quelques ponts entre ces analyses [souvent pensées comme] peu compatibles, Demorgon consacre tout un chapitre à la perspective qu’il nomme « Singulariser », chapitre qui s’inspire des deux premiers mais qui relie [justement] le particulier au général ; il explique là, après plusieurs autres, que les tendances statistiques ne conduisent pas forcément à la disparition du particulier.

Dans la deuxième partie du livre, Demorgon étudie la relation interculturelle selon six approches en quatre chapitres : 1) l’approche synchronique des cultures et la logique des antagonismes; 2) l’approche historique ou diachronique; 3) l’approche stratégique et l’approche auto-organisationnelle; et 4) l’approche dimensionnelle et l’approche sectorielle.
Cette partie tente d’apporter des nuances à la notion de complexité sociale dans son rapport avec la dimension interculturelle. Si Demorgon veut souligner que les sociétés existent selon une structure donnée, à un moment donné, il veille aussi à ce que le lecteur comprenne que ces sociétés ne sont pas statiques, qu’elles bougent, réagissent, se transforment. Il y a donc une inspiration structuro-fonctionnaliste (p. 101) préoccupée par l’adaptation des sociétés, et une inspiration morinienne où Demorgon réaffirme que les sociétés sont en mouvement aussi bien qu’en cours de changement (l’auteur utilise, dans une logique morinienne le concept d’« auto-désorganisation » (p. 135).

La troisième partie du livre offre au lecteur une analyse historique et eurocentrique de la genèse des cultures qui mènera à l’idée de mondialisation. Cette section est très ambitieuse. Dans le chapitre 9, l’auteur désire dépeindre l’entrecroisement des différents secteurs sociaux; ces secteurs s’influencent, tout en se distinguant. Dans le chapitre 10, il veut appliquer les nombreuses approches présentées dans son texte à l’étude de l’interaction entre deux pays, la France et l’Allemagne. Le chapitre 11 est consacré à l’étude de l’influence de diverses structures gouvernementales ou économiques mondialisantes. L’auteur couvre ainsi beaucoup de matière sur une centaine de pages, ce qu’il parvient à faire raisonnablement en empruntant à la pensée complexe.
*
Pour les personnes qui s’intéressent à la mondialisation et à l’interaction entre les cultures, ce livre est important. Demorgon s’inspire d’une pensée complexe, comme on le fait souvent dans la revue Nouvelles perspectives en sciences sociales; cependant, il distingue peu l’acteur [comme individu a parte] de l’acteur, humain social. *